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Channel: Le Poignard Subtil - art_brut
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Balade en films chez les inspirés du bord des routes et rendez-vous en Creuse

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     Dans le cadre de mon exposition estivale chez Jean Estaque à la Maison du Tailleu à Savennes dans la Creuse (une dizaine de kilomètres au sud de Guéret), je prendrai rendez-vous avec tous les amateurs des environnements qui aimeraient voir quelques images animées, cinématographiques, de quelques-uns de ces derniers.

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Rochers sculptés de l'abbé Fouré avec Jacques Cartier (l'homme au chapeau) au-dessus d'un monstre marin, Rothéneuf (Ille-et-Vilaine), ph. Bruno Montpied, 2010

 

    Outre les Bricoleurs de Paradis de Remy Ricordeau, on pourra voir quelques films surprise, des images du Palais Idéal du Facteur Cheval, des rochers sculptés de l'abbé Fouré, de Fernand Chatelain, de Monsieur G. (Gaston Gastineau), de Picassiette, et de Petit-Pierre. Le programme fera environ 1h40, et il sera accompagné d'un débat, d'une discussion avec les amateurs présents si le cœur leur en dit. Cette petite animation se tiendra de manière intime et conviviale dans une des salles d'exposition de la Maison du Tailleu en fin d'après-midi du 28 août prochain. Pour plus de renseignements, merci d'appeler le 05 55 80 00 59.


D'Alphonse Gurlhie à René Gregogna, une exposition à Beauchastel, patrie de Gurlhie le braconnier de l'art

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    René Gregogna, j'ai eu l'occasion d'en parler plusieurs fois par le passé sur ce blog, était un artiste attachant, très varié dans son expression, alternant peut-être le pire et le meilleur, charriant toutes sortes de matériaux qui lui venaient sous le s mains, repeignant une digue entière du côté de Pézenas, peignant les cailloux dans le lit des rivières... Dans sa jeunesse, il n'en faisait pas mystère, il avait rencontré un authentique créateur brut, Alphonse Gurlhie, qui vécut entre Beauchastel et Maisonneuve en Ardèche, actif des années 1920 à 1940, racontant ses exploits de chasseur et de pêcheur à travers des statues de ciment qu'il avait installées aux abords de ses deux différentes maisons. Et cette rencontre l'avait profondément marqué. Je l'avais croisé, lors de son passage à Paris pour l'avant-première d'un film d'Anne Desanlis sur lui, et l'avais interrogé sur ce rapport avec Gurlhie. Il est assez rare qu'on ait ainsi des aveux d'influence chez des artistes de l'art singulier, pourtant souvent impressionnés par les créateurs de l'art brut. Nul doute que ce rapport Gurlhie-Gregogna se trouve passablement explicité à l'occasion de l'exposition que montera à partir du 19 septembre l'association des Amis de Gurlhie. Ce sera peut-être aussi l'occasion de revoir les œuvres de Gurlhie qui sont conservées au musée de Beauchastel, qui était fermé aux dernières nouvelles.

Mort d'un auteur d'art brut classique et mystérieux, Francis Palanc

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     Je viens de découvrir sur le site de la collection d'Art Brut de Lausanne l'annonce de la disparition à l'âge de 86 ans de Francis Palanc (né en 1928, il vient de mourir le 30 avril 2015), cet ancien pâtissier, qui avait mis au point un système de création plastique à base de coquilles d'œuf pilées, et divers autres procédés dérivés de sa profession de pâtissier destiné à transcrire selon lui le plus adéquatement possible les mouvements de sa pensée, iansi que de donner des formes géométriques aux mots. On se reportera utilement à la note signée par Pierre Chave sur le site web de la Collection de Lausanne, le fils d'Alphonse Chave qui défendit dans sa galerie de Vence, les Mages, dans les années 50-60 l'œuvre de ce créateur ultra-secret. Palanc, après avoir aussi intéressé Dubuffet qui l'incorpora à la Collection de l'Art Brut, eut un jour un mouvement de colère en constatant que son indépendance risquait d'en prendre un coup du fait de la vente de certaines de ses productions par Chave. Il cessa toute activité plastique en apparence. Mais il paraît, si l'on suit les conclusions quelque peu sibyllines de la note de Pierre Chave, qu'il reprit ses activités en secret par la suite. Pierre Chave ne dit cependant pas si cela s'accompagna d'œuvres nouvelles que Palanc aurait pu laisser derrière lui...?

 

Francis Palanc, mort le 30 4 2015 à 86 ans Vence.jpg

Francis Palanc à l'époque de sa découverte par Alphonse Chave et Jean Dubuffet, 1962 ; ph. sur le site de la collection de l'Art Brut

palanc, oeuvre, fasci de l'art brut n°1, 64.jpg

"Tu ne trace rien ce/que tu vie seulement te/trace dans la mesure ou ce que tu/vie est inconnu de tous, même de toi " ; dans ce poème, les mots aux lettres et aux tracés géométrisés sont censés prendre davantage de vie et dévoiler leurs vertus ; forme de graphisme qui n'est pas sans se rapprocher d'un autre créateur plus connu cette fois, à savoir Christian Dotremont, le poète Cobra, qui créa des logogrammes, poèmes tracés sans souci de lisibilité, les lettrages prenant des formes détachées de leur conventionnel graphisme (on a pu en voir récemment à la Halle St-Pierre au premier étage dans l'expo des "Cahiers Dessinés" ainsi qu'à la Maison de Balzac dans une expo sur la lettre dessinée, dont le concept semble avoir été suggéré par Pierre Alechinsky

 

 

     Ce créateur a une biographie, un profil psychologique qui restent largement mystérieux. On nous décrit le personnage comme de nature "compliquée" sans nous en dire plus. Depuis 1964 et le premier fascicule de l'Art Brut ("Palanc l'écrituriste", notice due à Jean Dubuffet qui y signalait déjà l'arrêt "depuis deux ans" de la production de Palanc, à laquelle il avait alors substitué l'écriture de "poèmes géométriques"), on n'a pas eu beaucoup plus d'éclaircissements sur l'œuvre à suivre de notre ex-pâtissier à l'esprit bien sophistiqué.  

Marcel Vinsard déterritorialisé à Lyon

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     Du 28 septembre (demain lundi) au 16 octobre prochain, quelqu'un a eu l'idée de proposer à Marcel Vinsard, l'ex-coiffeur auteur d'un jardin habité d'un millier de sculptures taillées principalement dans le polystyrène qu'il peint ensuite de couleurs vives, dont j'ai déjà parlé sur ce blog, de présenter plusieurs de ses sculptures à Lyon dans une MJC. Cela s'inscrit probablement dans le cadre de la prochaine Biennale Hors-les-Normes qui régulièrement (tous les deux ans donc) présente dans plusieurs locaux éclatés un peu partout dans la ville des expos, conférences et autres projections ou manifestations diverses sur le thème des arts bruts et apparentés ("outsiders" pour parler comme les Américains). Si j'ai le temps, je tacherai d'y revenir, car d'autres expos cette année là-bas méritent qu'on en parle et peut-être aussi qu'on s'y transporte.

 

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Marcel Vinsard lisant studieusement un ouvrage d'art, ph. Bruno Montpied, 2013

 

      Marcel Vinsard est un cas à part parmi les créateurs d'environnements. Moi qui n'aime pas trop employer le terme d'artistes à tort et à travers en évoquant les auteurs populaires de jardins naïfs et fantastiques, puisqu'ils ne sont pas des professionnels de l'art, n'en vivant pas, ne se situant pas par rapport à ce qui se fait dans le spectacle et l'histoire de l'art, participant d'une culture autre, relevant en fait de la culture de masse (télé, bd, pubs, media) où surnagent parfois des bribes des anciennes traditions rurales, avec Vinsard, je dois reconnaître que ce recordman de la quantité de statues installées dans un jardin entre habitat et route aime à se confronter à certains artistes reconnus. Il l'annonce sur des divers panneaux autour de sa maison, chez lui, on trouvera du Braque, du Picasso (voir ci-dessous une "poupée" d'après Picasso), du Giacometti, des Uriburu (qui est nettement moins connu celui-ci) qu'il expose comme des articles destinés à prouver la dextérité de son insolite artisanat. Il ne fait pas que ça, loin de là, puisqu'il en était en décembre dernier à 1000 pièces, mais il ne dédaigne pas de se laisser photographier en train de feuilleter un livre d'art, l'air de rien... 

 

 

une-poupee-de-Picasso.jpg      Le voici donc extrait de son jardin de Pontcharra en Isère, ses œuvres légères du fait de leur matériau à la fois ductile et peu dense le permettant tout à fait, et le suggérant même, même si ce ne fut pas le mobile premier de leur réalisation. Lorsque je l'ai visité en 2013, il avait des difficultés à donner un prix possible devant mon désir d'acquérir une de ses pièces. Qu'en sera-t-il à la MJC de Monplaisir (la bien nommée)?

      Cependant, que voici un drôle d'artiste, que j'aimerais bien voir au milieu des cénacles de rapins lyonnais. Il y aurait des chances que, toutes proportions gardées bien entendu (faut pas exagérer en effet), ce genre de réunion risquerait de tourner en eau de boudin, du genre banquet du Bateau-Lavoir avec Picasso (justement) recevant le Douanier Rousseau, avec peut-être quelques malentendus à la clé...

 

marcel vinsard, environnements spontanés, art sans artistes, mjc monplaisir, biennale hors-les-normes de lyon 2015, picasso, uriburu, culture de masse, giacometti

Marcel Vinsard, De Gaulle perdu dans la foule des "modèles" de l'ex-coiffeur, ph. et coll. BM, 2013

 

Exposition Marcel Vinsard, MJC Monplaisir, 25, ave des Frères Lumières, Lyon 8e ardt, tél: 04 72 78 05 75. Gratuit, ouv tlj de 9h à 21h.

 

Fondation de la collection de monographies "la Petite Brute"

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     La Petite Brute, collection que je dirige, répond à une demande de l'éditeur de l'Insomniaque qui souhaitait qu'on lance une série de titres sur des créateurs d'art brut, ou d'art naïf inventif, ou d'environnements populaires du type de ceux dont je parle dans Eloge des Jardins Anarchiques (éditions l'Insomniaque, 2011), voire sur des thèmes en liaison avec les arts de l'immédiat (poésie naturelle, figures du fantastique social dans la rue, anonymes de l'art populaire, etc.). Chaque titre devant comporter un texte rédigé de façon primesautière, non universitaire, plutôt poétique et littéraire, suivi d'un album de reproductions.logo avec titre en arc-de-cercle.jpg

     Le choix des auteurs se portera avant tout sur des sujets choisis en dehors des circuits commerciaux de l'art, puisqu'il s'agit de mettre en lumière une créativité éparse dans la population, qui ne se destine pas nécessairement à faire l'objet d'un marché, mais qui se déploie plutôt dans le désir d'embellir la vie quotidienne, en la magnifiant, en l'enchantant, voire au passage en la critiquant, miroir installé sur le bord du chemin de la vie comme disait (à peu près) Stendhal...

 

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     Les deux premiers titres sortent cet automne. Mardi 13 octobre (l'ouvrage est du reste d'ores et déjà disponible à la librairie de la Halle Saint-Pierre), on trouvera en librairie Visionnaires de Taïwande Remy Ricordeau, consacré à une demi douzaine d'environnements découverts par l'auteur dans l'île de Formose, en différents points de cette terre. On y rencontrera dans la neuve perspective proposée par Ricordeau notamment les œuvres de Lin Yuan qui avait été exposé il y a quelques années dans l'expo "17 Naïfs de Taïwan"à la Halle St-Pierre. Mais à côté de lui, se déploient également différentes autres créations parfaitement inconnues et inédites, prouvant s'il en était besoin que la création spontanée est une pratique des plus répandues dans le monde, les territoires de l'Asie n'en étant pas épargnés, et commençant à largement intéresser les amateurs et les chercheurs d'art brut (dont bien entendu les marchands toujours à l'affût et attentifs à être les premiers à poser le pied - et la griffe - sur les nouvelles œuvres découvertes).

 

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Bestiaire de Wu Tanlai, ph. Remy Ricordeau, 2014

 

    Le deuxième titre est de Bruno Montpied, votre serviteur, Andrée Acézat, oublier le passé. Il sera disponible en librairie à la mi novembre (le diffuseur de l'Insomniaque est désormais Les Belles Lettres). Acézat, j'en ai déjà beaucoup parlé sur ce blog, était une peintre secrète qui produisit durant une cinquantaine d'années dans la région bordelaise (elle vivait à Talence avec son mari Lino Sartori, devenu sur le tard et par contagion un sculpteur et peintre singulier autodidacte ; le livre montre également quelques-unes de ses œuvres) des tableaux d'une facture banale relevant de ce que l'on appelle la peinture de genre, nus, natures mortes, paysages du bassin d'Arcachon, etc. Elle se décida, peut-être par contrecoup d'un cancer, sur le tard à 70 ans, à tout rejeter pour se mettre à créer un cortège de figures grotesques, caricaturales inspirées des personnages qu'elle croisait dans sa vie quotidienne. Ses peintures prirent alors un aspect expressionniste naïf très singulier. 

 

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Andrée Acézat, sans titre renseigné, 65 x 50 cm, peinture sur toile, 1996, coll. privée, région bordelaise, ph. Bruno Montpied

 

 A signaler: les deux auteurs, Remy Ricordeau et Bruno Montpied signeront leurs livres respectifs, tout en dialoguant avec les amateurs, dans le cadre de l'Outsider Art Fair, sur le stand tenu par la librairie de la  Halle Saint-Pierre le samedi 24 octobre à 15h à l'Hôtel du Duc, rue de la Michodière, dans le IXe arrondissement de Paris.

(Si vous ne trouvez pas les livres chez votre libraire habituel, n'hésitez pas à le commander, le diffuseur étant les Belles Lettres)

Du côté du cinéma documentaire, un nouveau film de Philippe Lespinasse

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       André et les Martiens, ça s'appelle, ce nouvel opus lespinassien. Le réalisateur a réuni cinq créateurs (et non pas "artistes" ; comme dit Pailloux dans la bande-annonce du film, on n'aime pas trop le terme appliqué à ces auteurs inspirés, hors système des Beaux-Arts, n'ayant à la limite besoin d'aucun public), Paul Amar, confectionneur d'univers en boîte hantés par de multicolores coquillages que Philippe Lespinasse a été l'un des tout premiers à défendre, Richard Greaves, faiseur canadien de cabanes voulues et construites extraordinairement bancales aujourd'hui détruites, André Robillard, et ses fusils, et ses Martiens, et ses "renards de la forêt d'Orléans", et ses Spoutniks, Judith Scott qui s'immergeait dans des cocons plus gros qu'elle, tout embrouillés des fils de son âme aux chemins labyrinthiques et enfin André Pailloux et ses vire-vent, son vélo étourdissant que Remy Ricordeau et moi-même avions présenté primitivement (2011) dans le film Bricoleurs de paradis.

André et les Martiens, ph Lespinasse.jpg

      Ces créateurs sont réunis par la magie d'un regard amical passablement ébaubi devant les audaces de ses personnages, à tel point qu'on peut se demander, lorsqu'on n'a pas encore vu le film, si les "Martiens" dont il est question dans le titre du film ce ne serait pas aussi les quatre autres créateurs rencontrés dans le documentaire.

D'étonnants jardins en Nord-Pas-de-Calais

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     On avait eu naguère (2011) un cahier de l'Inventaire du Patrimoine de la région Poitou-Charentes entièrement consacré à un créateur autodidacte, Gabriel Albert à Nantillé (Charente-Maritime), qui avait décoré son jardin d'environ 400 statues en ciment polychrome des années 60 aux années 90 de l'autre siècle. C'était le premier cahier de l'Inventaire entièrement dévolu à un autodidacte d'extraction populaire (plus naïf que brut dans ce cas). Je m'en étais fait l'écho sur ce blog.

couv d'étonnants jardins en nord-pas-de-calais, images du patrimoine.jpg    Voici que les collaborateurs de l'Inventaire du Patrimoine récidivent, cette fois dans la région Nord-Pas-de-Calais, avec un cahier, le n°293, entièrement axé sur une enquête explorant les sites encore en place et dont les auteurs dans plusieurs cas ont pu être interrogés. Quelques sites plus anciens, dont les auteurs sont disparus, sont également évoqués, comme celui de Remy Callot, sur qui nombre d'informations sont apportées dans le livre par Tiphaine Kempka, ou encore celui de René Pecqueur (à ne pas confondre avec Charles Pecqueur), dont les réalisations, des grands candélabres-arbres (on pourrait créer tout spécialement pour lui le mot-valise "candélarbre"), ont malheureusement été détruites, hormis quelques bricoles conservées ici ou là, notamment au LaM à Villeneuve-d'Ascq). Ce site est chroniqué avec sensibilité et intelligence dans l'ouvrage de l'Inventaire par Michel Cabal.

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Site ancien de René Pecqueur (1933-2003) à Louches (Pas-de-Calais), photos Marguerite Tartart et Michel Cabal

 

     Ce dernier Pecqueur était connu des chercheurs depuis déjà quelque temps, s'ils avaient comme moi découvert son existence au hasard d'internet en tombant sur lui alors qu'ils cherchaient de l'information sur l'autre Pecqueur, prénommé Charles. Un site web, animé par le même Michel Cabal était en effet dédié à René. La revue Pays du Nord lui avait également consacré un entrefilet.

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Photo parue dans La Voix du Nord (voir notre lien ci-dessous au mot "Turenne"), probablement tirée des archives de la famille Pecqueur ; Charles pose devant la tête de Blanche-Neige

    D'étonnants jardins apporte aussi une information actualisée sur son homonyme, Charles Pecqueur, créateur d'un site important à Ruitz, constitué de fresques et de statues et qui fut photographié et décrit à de nombreuses reprises dans les ouvrages centrés sur les environnements créatifs populaires, comme ceux de Bernard Lassus (1977), Jacques Verroust (1978) ou encore Francis David (1984). Dans ce livre de l'Inventaire, on trouve du reste un texte de Lassus qui revient sur sa propre enquête des années 60, époque à laquelle il découvrit le site de Pecqueur et lança le terme d'"habitant-paysagiste". Nathalie Van Bost, dans la partie du livre plus spécifiquement attachée à montrer des images des sites (fort belles), ajoute quelques informations, notamment sur l'état dégradé des réalisations de Charles Pecqueur, même si sa fresque consacrée à Blanche-Neige paraît tout de même étonnamment bien conservée, cinquante ans après sa confection. N'entendant plus parler de cet environnement, pourtant remarquable (Pecqueur, profitant de sa position de maire de la commune de 1946 à 1965 avait décoré au départ un rond-point de la petite ville avec Blanche-Neige et ses sept nains ; lorsqu'il n'exerça plus ce mandat, il rapatria comme il put des fragments de ce décor dans son propre jardin, une photo dans le livre nous montrant au passage qu'existe toujours la Blanche-Neige du rond-point), n'entendant plus parler de ce site donc, je m'étais figuré qu'il ne devait rien en rester. Dans les explorations que je fis, en 1989 d'abord, puis par la suite pour les besoins du film Bricoleurs de paradis, je ne poussai pas jusqu'à Ruitz. Or, il faut toujours aller vérifier sur place les sites, même s'ils furent indiqués à des époques éloignées. C'est grâce à son fils, aujourd'hui sexagénaire et prénommé joliment Turenne, que la maison de son père a pu être préservée, même si on peut se demander jusqu'à quand... L'endroit pourrait constituer un jour -rêvons un peu- un de ces centres de documentation et de ressources qui serait spécialisé sur la question des environnements populaires et singuliers. La municipalité de Ruitz ne se sentirait-elle pas concernée?

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Un détail des mosaïques de Remy Callot à Carvin (Pas-de-Calais), ph. Bruno Montpied, 2008

     L'ouvrage de l'Inventaire contient beaucoup d'informations donc, et des études historiques sur la fonction des jardins de mineurs qui étaient destinés à leur assurer un complément alimentaire de qualité pour leur santé. Le temps passant, les mines fermant les unes après les autres, la notion de jardin évolua pour certains héritiers ou nouveaux arrivants vers une utilisation plus créative ou commémorative (plusieurs habitants aimant à préserver la mémoire des mines).

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Le jardin de mineur de Concetta et Michele Sassano à Wingles ; lui aussi se retrouve dans l'ouvrage D'étonnants jardins ; ph. BM, 2008

     Des sites de qualité naïve affirmée, comme celui de Jean Cathelain par exemple, à Billy-Montigny, ou celui du "Jardin au titan" d'Alain Lefranc à Waziers, sont par ailleurs dévoilés, à ma connaissance, pour la première fois dans ce livre, tandis que d'autres, du genre accumulatif et sans grande mise en scène (tendance hélas de plus en plus fréquemment rencontrée, comme si tous savoir-faire et techniques avaient été perdus dans les milieux ouvriers), ou du genre miniaturistes et faiseurs de maquettes, peuvent laisser assez indifférents (sites de Jean-Philippe Carlier, ou de François Golebiowski par exemple)... On rencontre aussi ici et là dans ce mini-inventaire des sites actuels du Nord-Pas-de-Calais des environnements qui paraissent davantage relever d'une création cultivée, et donc  plus d'un environnement d'artistes, ce que j'appelle personnellement un "environnement singulier" (exemple de Philippe Hermez, et du sculpteur anonyme de Marchiennes, ou encore de "la maison du pirate" repérée par les enquêteurs dans la région de Dunkerque).

     Cependant, on trouvera là, au final, un ouvrage que tous les mordus des environnements populaires spontanés auront à cœur de se procurer pour compléter leur documentation sur le sujet. Entre autres librairies où on peut le trouver, à Paris, à la librairie de la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi à la librairie de la Caisse des Monuments Historiques dans l'Hôtel de Sully, rue Saint-Antoine dans le Marais.

Krizek en français

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     Je  ne vais pas recommencer la note que j'ai déjà consacrée à cette merveilleuse monographie sur Jan Krizek lorsqu'elle est parue primitivement en tchèque en 2013. Il suffit que l'on se reporte à ce lien...  Rappelons que cet artiste au début de son séjour en France après la Seconde Guerre fut enrôlé par Dubuffet dans ses premières expositions d'art brut, et par les surréalistes dans diverses autres manifestations (Krizek eut une correspondance fort intéressante à propos de l'automatisme avec André Breton), avant de se retirer en Corrèze en survivant comme apiculteur.

jan krizek,anna pravdova,bertrand schmitt,frac limousin

    Il faut  ici surtout annoncer que la dite monographie, d'Anna Pravdova et Bertrand Schmitt, vient d'être éditée dans une version française grâce à la collaboration du FRAC de la région Limousin avec la Galerie nationale de Prague, ce qui va permettre aux amateurs "monoglottes" francophones de cet artiste, que je porte personnellement en très haute estime, de lire l'ouvrage d'une manière nettement plus accessible qu'en tchèque. La maquette en paraît inchangée par rapport à l'édition originale, si ce n'est quelques adaptations d'accord entre les images et le texte, ce dernier, du fait de la plus grande étendue de la traduction française, étant rallongé. A suivre, la notice de présentation du livre tel qu'elle m'a été communiquée :

Titre: Jan Krízek "Chez moi, l'homme ne doit jamais disparaître", auteurs : Anna Pravdová, Bertrand Schmitt, éditeurs : FRAC Limousin et Národní galerie v Praze (Galerie Nationale de Prague), Année de parution : 2015, nombre de pages: 349 p., illustrations : 552 reproductions couleur / noir et blanc,  dimensions : 28,6 x 24,6 x 4 cm, Poids : 2 kg, ISBN: 978-2-908257-34-2, Prix de vente : 39€.

Cette publication a pu être réalisée grâce au soutien du Conseil Régional du Limousin, ainsi qu'avec l’aide du Centre Régional du Livre Limousin et l'Association Limousine de Coopération pour le Livre (CRLL – ALCOL) [que voici un acronyme bien trouvé dans le genre éthylique... Note BM] dans le cadre de la convention de coopération entre l’Institut Français et la Région Limousin et avec la participation du FRAC Bretagne et de l'Association des Amis du FRAC-Arthothèque Limousin.

Parmi les artistes tchèques qui s'installèrent en France après la Seconde guerre mondiale, Jan Krízek compte ,sans doute, parmi les plus importants et les plus originaux. Arrivé en 1947, il resta en France jusqu’à sa mort en 1985 et y créa l’essentiel d’une oeuvre qui fut admirée et soutenue par Jean Dubuffet, André Breton, Charles Estienne, Michel Tapié, Henri-Pierre Roché... Jan Krízek était avant tout un sculpteur mais, confronté à une situation difficile, il ne put pratiquer ce type d’expression qu’occasionnellement et a surtout laissé de nombreux dessins, aquarelles et gravures qui lui servaient de « terrain d’expérimentation » et de recherche.

Anna Pravdová, (née en 1973) est historienne de l’art et conservatrice à la Galerie nationale de Prague [on peut la voir interviewée, ainsi que Bertrand Schmitt, dans le récent DVD, paru dans la collection Phares, consacré à la peintre surréaliste Toyen. Note BM]. En 2009, elle a écrit un ouvrage intitulé « Rattrapés par la nuit » relatant le destin des artistes tchèques en France pendant la Seconde Guerre mondiale. En 2015, elle a co-écrit une monographie consacrée au peintre et caricaturiste tchèque Antonin Pelc. Elle est l'auteur des versions tchèque et française de la monographie du sculpteur, peintre et apiculteur Jan Krízek.

Bertrand Schmitt (né en 1967) est scénariste et réalisateur de films documentaires. Il est également auteur, poète, traducteur, et membre du Groupe de Paris du mouvement surréaliste. Il est l'auteur en 2011 d'une monographie consacrée à la peintre, dessinatrice et poète tchèque Alena Nádvorniková. En 2013, il a co-écrit et coordonné J.Š. Dimensions of dialogue. Between film and fine artsmonographie consacrée au réalisateur et plasticien Jan Švankmajer.

     A noter que le livre dans cette édition française bénéficie d'un tirage de luxe à 50 exemplaires (250€) comprenant, outre l'édition du livre en emboîtage, une linogravure originale de Jan Krizek (particulièrement attractive). Pour en savoir plus sur ce tirage de tête, consulter ce lien vers le dossier de presse complet de l'édition.

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     Enfin, ajoutons qu'une exposition consacrée à Jan Krizek, avec une sélection des œuvres sur papier que sa veuve Irina a léguées au FRAC Limousin, sera présentée du 30 avril au 25 juin 2016 à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. A cette occasion sera projeté le film de Martin Reznicek, Jan Krizek, sculptures et abeilles, de 2005 (59 min., version originale tchèque sous-titrée en français).

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    Ci-dessus le bon de commande à adresser au FRAC Limousin au cas où le livre vous intéresserait (à signaler qu'une autre version de ce bon se trouve dans le dossier de presse en PDF auquel j'ai renvoyé en lien ci-dessus).

 


Des goujats de Goujounac

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1989 (3 bis) les galettes avec la première oeuvre.jpg

Trois sculptures en médaillon et silhouettes, dont celle de droite qui est la véritable première œuvre de Gaston Mouly (telle qu'il me l'affirma en 1984), ce qui contredit ce qu'affirme (p.7 et p.22) Jean-François Maurice dans le catalogue de l'exposition Mouly au musée Henri Martin de Cahors en 2000 ; photogramme du film en Super 8 de Bruno Montpied sur Gaston Mouly (1987)

 

      Une exposition sur Gaston Mouly se prépare à Goujounac, son village natal du Lot. Ce sera pour juin semble-t-il. Une association nommée Goujoun'Art, animée par des personnes du cru, ont contacté plusieurs personnes qui de près ou de loin ont connu Gaston Mouly.

     Est-ce l'air du temps porté sur la paranoïa et sur la lâcheté? La peur du qu'en-dira-t-on (qui n'effrayait pourtant aucunement un Gaston Mouly comme le proclament parfois les titres de ses œuvres, voir aussi l'inscription au bas de cette note)? La crainte frileuse d'assumer les propos des participants à cette manifestation auxquels ils prêtent d'imaginaires retombées en terme de réputation ? Toujours est-il que le signataire de ces lignes, après avoir avec bienveillance apporté son soutien au projet, donné quelques informations, jugements et conseils qu'il estimait de nature à aider les organisateurs,  avoir écrit un texte de souvenirs sur Gaston Mouly, une première fois remanié pour complaire à Goujoun'Art, aménagé son agenda pour une conférence qu'on lui avait demandée pour la fin avril 2016, discuté avec la responsable de cette association, le signataire de ces lignes s'est fait purement et simplement renvoyer à ses chères études, sans la moindre justification, par un mail en cinq lignes! On ne voulait plus du texte, dans ce qui ressemblait à un caprice, et la conférence elle-même était annulée... A Goujounac apparemment on prend les gens pour des kleenex. Plus goujat, tu meurs!

Dessin de GM à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (2).jpg

Dessin inédit de Gaston Mouly, 56x76 cm, du 9 avril 1996, donné à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (où il se trouve toujours), selon ce que nous en a dit Mme Claudie Bousquet, ancienne institutrice de cette école, suite à l'appel que je fis sur ce blog pour aider Doriane Mouly à retrouver des œuvres de Gaston

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Gaston Mouly donnant quelques explications à des enfants de l'école maternelle de Castelnau-Montratier lors de sa venue en 1996 (un an avant l'accident qui lui coûta la vie), archives de l'école ; photo inédite

 

     Qu'est-ce qui a déplu dans ma proposition de texte (car c'est celui-ci qui est en cause apparemment)? Je suis inévitablement conduit, en l'absence d'explication, à proposer des hypothèses. Mon but second étant d'alerter tous ceux, dans les milieux d'art brut et d'art singulier, qui auraient affaire à l'avenir à cette association. Et je voudrais souligner aussi une propension de  certains amateurs d'art − beaucoup trop "amateurs", dans le pire sens du terme −  à s'ériger en censeurs. La censure d'Etat, c'est déjà atroce, alors que dire de la censure des gens ordinaires...?

     Voici mon texte ci-dessous proposé dans la version que je considérais comme définitive:

 

Gaston Mouly dans mon rétroviseur

 

          En 1984, alors que l’Aracine venait d’ouvrir les portes du Château-Guérin, à Neuilly-sur-Marne, afin d’y présenter son embryonnaire collection d’art d’autodidactes ‒ à cette époque, elle n’avait pas le droit d’employer le terme « d’art brut », Jean Dubuffet n’autorisant personne à en user en dehors de sa propre collection ‒, je fis la connaissance de Gaston Mouly, et de son inénarrable faconde, de son accent quercynois et surtout de son univers plastique, qui se limitait alors à ses sculptures en ciment polychrome.

          Il avait débuté dans ce domaine depuis trois ou quatre ans, et c’était une future romancière, Myriam Anissimov, qui, en faisant sa connaissance (via une commande à son entreprise de maçonnerie je pense), l’avait recommandé à Madeleine Lommel et à Michel Nedjar. Ces derniers étaient en effet à l’affût de nouveaux créateurs afin d’étoffer la collection qu’ils rêvaient de construire en suivant l’exemple de la collection d’art brut princeps, celle de Dubuffet, qui venait d’être donnée à la ville de Lausanne (et ouverte en 1976), en ayant quitté la France où l’art brut avait été pourtant inventé (dès 1945). Notre pays attendit jusqu’en 1999 pour qu’une collection d’art brut entre officiellement dans un musée d’art moderne, au LaM de Villeneuve-d’Ascq dans le Nord. Cette collection étant justement celle que s’ingénièrent à constituer les animateurs de l’Aracine durant une quinzaine d’années.

            Je suivais l’aventure de l’Aracine depuis sa première exposition à Aulnay-sous-Bois en 1982. Ce qui m’y intéressait, c’était précisément cette recherche de nouveaux créateurs, et je dois dire que je suis resté fidèle toute ma vie à ce genre d’attitude. Tomber sur des auteurs sauvages, en dehors de tout système des beaux-arts, et de tout marché de l’art, est une aventure passionnante, stimulante en retour pour notre propre démarche créative. Je fus d’autant plus surpris de constater qu’au fil des mois, les animateurs du Château-Guérin paraissaient mettre de côté Mouly, peut-être parce que, entre autres raisons, cherchant avec fièvre de nouvelles œuvres, il leur arrivait de remiser leurs précédentes trouvailles.

            Je trouvais dommage qu’on puisse avoir envie de mettre entre parenthèses l’art d’un Mouly, son dévoilement venant tout juste d’être opéré. Je fis plus amplement connaissance avec lui, me rendant à plusieurs reprises dans son village de Lherm, et lui venant souvent à Paris, pour se confronter à son rêve naïf de vie artistique à la capitale (il descendait dans un hôtel de St-Germain-des-Prés, d’où il nous arrivait d’aller nous exhiber aux Deux Magots pour faire plaisir à Gaston).

           Je décidai donc quelques années plus tard de le recommander à mon tour à Gérard Sendrey du Site de la Création Franche (nom primitif du musée de Bègles), en 1988-89. Gaston avait déjà, depuis quelques années, fait de la peinture (plusieurs tableaux en attestent). Il m’avait même donné des dessins pour mon fanzine, La Chambre rouge en 1985.

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Couverture de La Chambre rouge n°4/5, 1985 ; la première occurrence où apparaissent des dessins de Gaston Mouly

 

          Sendrey, ne disposant pas de beaucoup d’espace dans sa minuscule galerie Imago (espace qu’il avait ouvert avant de récupérer un local plus grand où se trouve toujours aujourd’hui le musée de la Création Franche), voulait des œuvres de petit format. Il repoussait en conséquence les sculptures de Gaston, qu’il jugeait trop difficiles à manœuvrer pour des accrochages. Il lui demanda s’il ne faisait  pas des dessins. Gaston sauta sur l’occasion pour développer un secteur de sa création qui ne demandait qu’à prendre plus d’ampleur¹. Une magnifique floraison de dessins en couleur surgit alors, qui devait lui ouvrir les portes d’autres collections prestigieuses, comme celles de la Fabuloserie et de la Neuve Invention dans la collection de l’Art brut à Lausanne² (« Neuve Invention » étant un terme inventé par Dubuffet pour classer les cas-limites situés entre l’art savant et l’art brut au sens strict).

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Carton d'exposition en 4 pages de Gaston Mouly à la galerie Imago de Gérard Sendrey en 1989, avec un texte d'introduction de Bruno Montpied

Carton d'expo G Mouly à Imago Texte BM.jpg       Carton d'expo Mouly Imago Images des dessins  Gaston Mouly002.jpg

            L’originalité du dessin de Gaston Mouly provient de son désir profond de faire moderne. Parallèlement, il restait fier de sa culture de base, intimement liée à son goût du patois. Il m’a souvent dit que la langue française lui paraissait peu imagée, alors que l’occitan rendait mieux de ce point de vue. On trouve aussi ce genre d’opinion chez un Gaston Chaissac. Ce dernier qualifiait sa propre œuvre « d’art rustique moderne », terme que l’on pourrait aussi appliquer à l’art de de Gaston Mouly.

           Ses diverses œuvres portent la marque d’une inspiration à nulle autre pareille, certes sommaire, eu égard au tracé de ses figures par exemple, mais porteuse d’un goût inné de l’architecture qui éclate partout dans l’articulation, la structuration des images. Je pense même que le sujet n’a que peu d’importance fondamentalement. C’est d’abord le plaisir d’architecturer qui mène Mouly, qui ne fut pas maçon par hasard. Le sujet doit se plier à cette loi, de gré ou de force. Procédant par intuition, il se créait ses solutions figuratives dans la conscience pleine d’agir ainsi en inventeur solitaire, s’appuyant sur l’exemple d’artistes modernes pour qui il avait travaillé dans sa région (Zadkine, Bissière, Nicolas Wacker). Mais il ne faut pas oublier que l’on trouvait aussi, accrochés au-dessus de ses sculptures, au mur de son atelier d’été, divers objets et outils caractéristiques de la culture rurale, attestant de son goût pour les formes générées dans le cadre de cette dernière. Dans son dessin, dans sa sculpture, il tentait de marier influences formelles venues de l’art moderne et influences stylisatrices provenant de l’art populaire. Ce dernier aime les raccourcis,  les associations d’images, les jeux de mots, et se passe fort bien de l’imitation de la réalité photographique. Comme Gaston Mouly.

            Alors, « singulier », Gaston Mouly ? Ce dernier terme ‒ qui désigne aujourd’hui de plus en plus des artistes semi professionnels inspirés par l’art brut, et plutôt liés à une culture urbaine ‒ ne lui correspond pas exactement. Certes, ses opinions politiques étaient nettement droitières, comme celles de tant de gens qui appartiennent au peuple des paysans et des artisans, choisissant à l’occasion, par facilité, un individualisme égocentrique teinté de populisme. En dépit de cela, il est loisible de reconnaître à travers son imaginaire graphique et plastique toute une culture à coloration païenne mettant en avant l’esprit de fête, de danse, de jouissance, où la ligne est virevoltante, sinueuse et sensuelle. Ses sculptures font parfois penser aux figures populaires en pain sculpté que l’on trouve dans plusieurs pays d’Europe. Artiste populaire contemporain, prisant le plaisir sous toutes ses formes, bon vivant, c’est ainsi que je préfère revoir Gaston Mouly, quand il m’arrive de contempler nos rencontres dans mon rétroviseur…

            Bruno Montpied, décembre 2015.

________

[1] Voir le dessin qu’il avait fait en 1983 sur une porte de sa maison, que j’ai reproduit dans le catalogue Des jardins imaginaires au jardin habité, Hommage à Caroline Bourbonnais, édité par la Fabuloserie en mai 2015.
[2] Gaston Mouly et moi, en 1987, bien avant qu’il expose à Bègles, avions du reste conçu un projet d’aller montrer ses sculptures à Michel Thévoz, que j’avais contacté par téléphone. Ce dernier, dès cet entretien, m’avait confié que, si ces sculptures pouvaient intéresser leur collection, elles ne pourraient être intégrées au mieux que dans la Neuve Invention. Selon lui, en effet, Mouly ne relevait pas complétement de la définition de l’art brut. Malheureusement, notre projet de voyage en camionnette avec les sculptures capota, à mon grand regret.

*

    Après avoir lu ce texte, que comprendre de ce qui a pu déplaire à nos goujats de Goujounac? Est-ce le dernier paragraphe qui les chiffonne où il est fait allusion aux opinions droitières de Gaston? Doit-on donner une image lisse du créateur, émasculée de tout ce qui pourrait rompre avec une évocation de Bisounours, strictement axée sur la question esthétique (le créateur vu uniquement au ras des pâquerettes, en ne prenant en considération que ses outils et ses tubes de peinture comme s'il n'y avait rien d'autre autour de lui)?

     Serait-ce une considération de respect exagéré vis-à-vis de je ne sais quelle peur de déplaire à la famille sur une question de détail (en particulier le rappel du rôle d'intercesseur de Myriam Anissimov, que j'avais pourtant signalé dès la plaquette Imago de 1989?) ? Je me perds en conjectures... Et je finis par conclure à la décision absurde d'une belle bande de neuneus doublés de jésuites qui vont nous pondre une expo ruisselante de bons sentiments. A oublier bien vite.

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Inscription qui était apposée sur la porte de l'atelier d'été de Gaston Mouly à Lherm, archives BM ; en dépit de sa syntaxe bizarre, on décrypte aisément le propos: "bien qu'ici mes œuvres puissent emmerder les raseurs, leurs fruits parlent, tâchez donc d'en faire autant...." ; lisse, Gaston Mouly? Allons donc... 

Création Franche n°43 où les inspirés du bord des routes sont de retour

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Le n°43 d'une revue fondée en 1989

 

    Voici le nouveau numéro de Création Franche, revue bi-annuelle, un numéro au printemps, un numéro en hiver... Disponible sur abonnement, ou directement au Musée de la création franche à Bègles, et de temps à autre à la librairie de la Halle St-Pierre, Paris 18e ardt...

   Au sommaire − en dehors de l'édito du directeur, Pascal Rigeade, qui, cette fois-ci, nous présente le nouveau rendez-vous du musée, appelé de façon très branché "le Lab" (qui, d'après ce que j'en ai compris, souhaite révéler le dialogue que noueraient telle ou telle œuvre de la collection avec le contexte social, économique, culturel, etc, de sa production... Ambitieux programme...), et de l'article de Gérard Sendrey, l'ancien directeur, et fondateur du musée − on trouve cinq chroniqueurs extérieurs : Paul Duchein, Dino Menozzi, Denis Lavaud, Bernard Chevassu et moi-même. Les deux créateurs évoqués par Duchein et  Menozzi ne m'ont, je dois dire, pas beaucoup retenu. Non, je me suis plutôt attardé sur l'article de Bernard Chevassu qui propose une balade du côté des "racines et des rêves", autrement dit, de créateurs qui ont ce point commun de s'intéresser fortement aux formes suggestives de la nature, notamment arboricole. On y retrouve, au hasard des pages, quelques images des œuvres de Félix Gresset, personnage dont je n'avais plus entendu parler depuis une éternité, je crois bien que c'était dans une ancienne brochure de l'Aracine la dernière fois...

     En cherchant un peu dans ma documentation, j'ai finalement retrouvé une notice sur lui, illustrée de deux reproductions, dans le catalogue Art Brut, collection de l'Aracine, édité par le LaM, musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq en 1997. Il y est dit que Gresset, ouvrier forestier dans le Jura, avait installé des personnages constitués de branches, de racines, ou bien encore de souches interprétées, devant sa maison, dans un village joliment appelé Chantegrue (un nom de lieu prédestinant là encore, sûrement). Ce qui me permet de le ranger parmi les créateurs populaires d'environnements chers à mon cœur. L'article de Chevassu vagabonde avec raison de façon agréable chez les assembleurs et interprètes amateurs (ou non : plusieurs de ceux qu'il cite paraissent plus "artistes") de poésie naturelle. On sait que, rien que dans la catégorie des créateurs autodidactes populaires, ils sont légion. On aime à ramasser du bois mort, ou des galets aux formes tourmentées, qui représentent d'étranges formes interprétables. C'est la manière que les fées et les trolls ont trouvée pour se perpétuer jusqu'à notre époque trop raisonnante. 

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Le jardin de Félix Gresset, photo parue dans Art brut, collection de l'Aracine (1997)

    Ce numéro de Création franche s'attarde plus que d'habitude chez les inspirés du bord de routes. C'est ainsi que l'on lit avec plaisir l'entretien que Francis David, l'émérite photographe du Guide de l'Art insolite dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Herscher, 1984), a donné avec bonne grâce à Denis Lavaud. Le dialogue revient sur le parcours de ce pionnier en matière de recherche d'inspirés, en nous révélant que c'est, entre autres, à la suite des expositions de Claude et Clovis Prévost que dès 1977 à Chartres, Francis David décida de s'intéresser de plus près aux habitants-paysagistes. Il y a en effet une chaîne de quêteurs d'inspirés du quotidien qui va, ininterrompue, depuis le début du XXe siècle (si l'on pense aux photographes anonymes qui nous ont gardé la trace par la carte postale de tant de sites du passé) jusqu'à aujourd'hui.

     Francis David, en plus de son travail photographique des années 1980, aurait très bien pu développer l'écriture, de façon tout aussi originale que dans sa photographie. Il s'est en effet rapproché des écrivains-voyageurs, si l'on se réfère aux quelques rares notes de balade (des vers en réalité) qu'il fit paraître dans le catalogue de l'exposition Les Bricoleurs de l'Imaginaire (Musées de Laval et de La Roche-sur-Yon, 1984). Ces dernières se terminaient par ces mots:

     "rouler jusqu'à la nuit / avec l'ivresse de ces courses et de ces rencontres / avec le vertige / d'avoir à délimiter / les fondations d'une tour de Babel / que des rêveurs s'acharnent / à bricoler pour nous / tous."

    Un Gabriele Mina, en Italie, s'est souvenu de cette tour de Babel dans le titre de ses livre et site web (Costruttori di Babele...). De même qu'un certain Bruno Montpied ne rougit pas de reconnaître qu'il a dû se souvenir des "bricoleurs de l'imaginaire" (cf. le titre du catalogue et de l'exposition initiés par Francis David), pour le film qu'il a écrit avec le réalisateur Remy Ricordeau, Bricoleurs de paradis...

Les Bricoleurs de l'imaginaire, F.David.jpg

    B.M., dans ce même numéro 43 de CF, a rapporté un petit reportage sur un environnement étourdissant, très atypique, qu'il est allé voir en Espagne, en compagnie de deux camarades, l'été dernier. Ce site incroyable, créé par un certain Julio Basanta, pour commémorer le meurtre de son frère, puis de son fils, par la police, à vingt ans d'intervalle, est imprégné d'un mysticisme légèrement délirant qu'il paraît fréquent de rencontrer chez nos voisins ibères. L'article aurait pu faire partie de la série de notes que j'ai commencée sur ce blog (intitulée − bien présomptueusement puisqu'il n'y a eu jusqu'ici, je m'en avise avec confusion, qu'un seul épisode s'y rapportant − "Journal de voyage en Espagne"), évoquant en pointillé cette dérive automobile en Espagne. Je ne me laisserai pas aller à évoquer cette création architecturale et sculpturale, car cela nous emmènerait trop loin. Publions juste une photo supplémentaire et renvoyons nos lecteurs qui voudraient en savoir plus vers la revue. Car la fin du papier par la lecture sur internet n'entre pas dans mes vues... 

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La "Casa de Dios" de Julio Basanta, ph. Bruno Montpied, 2015

  

 

La Villa Verveine, mise à jour

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      La Villa Verveine, c'est à Ault, en Picardie, près du Tréport, rappelez-vous, j'en ai déjà parlé. Et c'est une maison formidable, surtout à l'intérieur. Caroline Dahyot l'a peinte du sol au plafond, du moins dans les espaces qu'elle utilise quotidiennement. Elle peint, elle coud, elle brode, elle fait des assemblages, des poupées, quelquefois elle exporte son univers à l'extérieur comme bientôt dans le festival Art et Déchirure à Rouen, dans des sortes d'installations chargées de nous démontrer tout ce qu'elle est capable de faire, et qu'elle ne se contente pas de s'exprimer en deux dimensions dans des œuvres que l'on pourrait croire faites seulement pour le commerce. C'est un art total qu'elle vise, une conduite créative dans la vie. Bien sûr, son roman "familial "revient parfois avec insistance, mais l'on peut aussi préférer lorsqu'elle nous raconte des histoires de maison hantée. Il paraît en effet qu'un fantôme vient parfois s'asseoir sur sa terrasse qui est comme un promontoire en surplomb de la mer qui lèche la falaise où elle vit... On peut préférer aussi quand elle dessine des êtres imaginaires. Ou quand elle accepte de peindre à deux, du type "cadavre exquis".

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Deux états de la façade sur rue de la Villa Verveine, en haut: photo Bruno Montpied, 2011, et en bas: ph. B.M., 2016

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Caroline Dahyot, Paix, bonheur, vie..., broderie, ph. B.M., 2016

Caroline Dahyot et BMontpied, La sorcière et l'oiseau guerrier, 2011, peinture sur drap - Copie (2).jpg

Caroline Dahyot et Bruno Montpied, La sorcière et l'oiseau guerrier, peinture sur drap, ph. B.M.,2011 

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La terrasse au fantôme, avec le banc à gauche où il vient s'asseoir, sans prévenir, ph. B.M., 2016

 

 

40 ans de la Collection d'art brut de Lausanne, 70 ans de l'apparition de l'art brut, etc.

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L'art brut de Jean dubuffet Aux origines de la  collection .jpg

L'œuvre illustrant l'affiche de l'exposition est de Joseph Dégaudé-Lambert, dessinateur inconnu du XVIIIe siècle

 

    C'est pratique les commémorations, ça permet d'avoir l'idée d'une exposition. La nouvelle, à Lausanne, qui a commencé le 4 mars, fait retour sur les origines de la Collection de l'art brut, à l'occasion des 40 ans de son ouverture au Château de Beaulieu, après la donation de Dubuffet à la ville de Lausanne. Un gros – et grand – catalogue est publié à la clé. Je n'ai pas vu l'expo, je me base donc sur ce dernier, qui est déposé ici et là en librairie à Paris (moi, je l'ai trouvé à L'Ecume des Pages, merci Marieke...).

 

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La couverture du catalogue de l'exposition "L'Art brut de Jean Dubuffet, aux origines de la Collection", au graphisme pas très original si on se réfère aux anciennes couvertures des premiers fascicules de la Collection qui utilisèrent longtemps cette écriture peinte (qui fut de plus imitée par d'autres ça et là), et avec un type de reliure (cousue ,sans dos) qui fait penser à certains récents catalogues de la collection ABCD...

 

    C'est une sorte d'exposition rétrospective, où la Collection survole l'histoire de sa constitution. Le catalogue, éludant quelque peu les années de  tâtonnement de Dubuffet  (pourtant l'art brut a commencé de l'obséder dès la fin des années 1940), ne citant que peu les expositions du sous-sol de la galerie Drouin, puis du Foyer de l'art brut dans le pavillon prêté par les éditions Gallimard, s'étend d'abord sur l'évocation de l'expo de 1949 dans la même galerie Drouin (sans doute parce qu'elle fut la première à être imposante par le nombre d'œuvres ou d'ouvrages exposés), avant d'aborder  les acquisitions des décennies suivantes.

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      Les premières œuvres qui avaient été exposées en 1947-1948 (à partir de novembre-décembre 1947) avec la collaboration de Michel Tapié, et divers autres amis et adhérents des débuts de la collection (Charles Ratton, André Breton, Robert Giraud, Aline Gagnaire, Henri-Pierre Roché, entre autres) exprimaient une grande ouverture dans la recherche des œuvres relevant d'un art de l'ombre, distinct et distant vis-à-vis du "grand art". Indécis sur la direction à prendre, on prenait ce qui venait, quitte à trier plus tard sans doute. L'art naïf, l'art des enfants, l'art de certains peuples non occidentaux, pouvaient être prospectés. Dans ces deux premières années de recherche systématique – la "Compagnie d'art brut" fut fondée le 11 octobre 1948 –, on voit passer dans les locaux provisoires prêtés (?) à Dubuffet, par exemple "les Barbus Müller" (pierres de granit et basalte, venues semble-t-il d'Auvergne, créées par un (ou des) auteur(s) anonyme(s)), les sculptures de l'artiste primitiviste Krizek, les peintures illuminées de Miguel Hernandez, les silex interprétés de  Juva – alias le comte autrichien Juritzky –, les œuvres de Robert Véreux (alias Robert Forestier), de Chaissac, de l'alchimiste Maurice Baskine, les médaillons de ciment de l'aubergiste Salingardes, les masques du brocanteur bordelais Maisonneuve, des peintures "médiumniques" de Crépin, des dessins de Scottie Wilson... Certaines de ces productions vinrent des signalements donnés par les surréalistes que Dubuffet, au début de son entreprise de rassemblement d'un art inventif et sauvage incognito, tentait de rallier à sa cause, jusqu'à ce que ce compagnonnage vole en éclats, Breton trouvant en 1951 Dubuffet dictatorial, tandis que ce dernier accusait les adhérents de la première heure de n'avoir pas fait grand chose pour l'aider (voir la correspondance de Jean Dubuffet  publiée dans Prospectus et tous écrits suivants chez Gallimard)...

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Projet de composition de l'Almanach de l'art brut, tel qu'il figure dans une lettre de Dubuffetà André Breton publiée sur le site web consacré à André Breton

     Mais que le catalogue et l'exposition ne s'attardent pas outre mesure sur ces deux années de tâtonnement, c'est sans doute parce que, comme l'annonce une note fort furtive en marge d'une contribution de Sarah Lombardi, actuelle directrice de la Collection lausannoise (p.19), un projet d'édition va enfin voir le jour concernant l'Almanach de l'Art Brut, qui permettra peut-être d'en parler plus largement. Ce serait prévu pour novembre 2016 (dans une édition critique établie par Baptiste Brun et Sarah Lombardi, et réalisée par la collection de l'Art Brut en collaboration avec 5 Continents et l'ISEA ). Ce qui sera, du point de vue des amateurs obsédés par l'art brut et son histoire, un événement puisqu'on attend son exhumation depuis 70 ans, l'édition n'ayant pu se faire en 1948. On se reportera  à l'ouvrage l'Art brut de  Lucienne Peiry (Flammarion, 1997, voir p.303) pour en savoir un peu plus sur cet almanach, laissé à l'état de manuscrit dans les archives de la Collection, et qui rassemblait au même sommaire, excusez du peu: André Breton, Benjamin Péret (sur Robert Tatin, et ce, dès 1948, texte inédit, jamais publié dans ses œuvres complètes), Jean Dubuffet, Gaston Chaissac, Walter Morgenthaler, Michel Tapié, E.L.T. Mesens (par qui était "arrivé" Scottie Wilson...), Lise Deharme (voir son texte sur Alphonse Benquet sur ce même blog, où je l'ai édité virtuellement en première mondiale grâce à l'obligeance de Lucienne Peiry...), Jacqueline Forel, Eugène Pittard, Charles Ladame, etc. Cet almanach, dont l'idée de la forme revenait peut-être à Breton, qui en réalisa un autre en 1950,  centré sur le surréalisme (l'Almanach surréaliste du demi-siècle), est probablement imprégné de cet esprit de non dogmatisme et d'ouverture qui régnait dans ces années pionnières. Dubuffet se raidira dans les décennies suivantes, déniant aux Naïfs et aux créateurs trop liés à une culture populaire repérable, l'inventivité surgie de nulle part dont il rêvait, à la fois dans sa propre œuvre et dans celle des autres. Le fait que l'on reconnaisse aujourd'hui qu'il y a toujours de la culture, savante ou populaire, dans le soubassement des gestes créatifs, y compris parmi ceux qui sont les plus cachés et les plus refoulés, doit impliquer que l'on puisse réévaluer certains marginaux naïfs ou populaires, du type de ceux que l'on vit émerger dans les débuts de la collection de Dubuffet, comme par exemple ce Joseph Dégaudé-Lambert, dont les huit gouaches du XVIIIe siècle conservées à Lausanne (précision apportée par le catalogue de l'expo actuelle), furent reversées par Dubuffet à partir du début des années 1960 dans sa collection "annexe" (consacrée aux cas-limites de l'art brut et de l'art culturel...). Chaque fois que l'on voit en réapparaître une dans les publications de la Collection de l'art brut¹, on reste sidéré... Voilà encore un créateur énigmatique de premier ordre sur lequel on aimerait recueillir davantage d'informations.

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Salingardes (à gauche) et broderie de Marguerite Sirvins (à droite), pages du catalogue L'Art Brut de Jean Dubuffet, aux origines de la collection, ph. Bruno Montpied

      Le catalogue de l'exposition, en contraste avec sa couverture grise ascétique, est d'une richesse iconographique remarquable, reflétant sans doute bien celle de l'exposition elle-même. J'ai mes favoris parmi tous ces créateurs, dont certains surgissent des réserves de la collection pour la première fois (ou peu s'en faut), comme cette écorce de bouleau de Pierre Giraud qui vaut bien mieux que ses dessins je dois dire.

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Pierre Giraud, sans titre, 1947, écorce de bouleau sculptée

      Je ne résiste pas aussi au plaisir d'énumérer, parmi les créateurs exposés en 1949 chez Drouin,  ceux qui me touchent plus particulièrement: Aloïse, Antinéa, Benjamin Arneval, Julie Bar, Georges Berthomier (un naïf fruste), Maurice Charriau (une copie conforme de Chaissac : il me semble me souvenir qu'il s'agissait d'un adolescent que ce dernier poussa à dessiner), Crépin, Joseph Heuer, Juliette Elisa Bataille, Juva, Hernandez, Maisonneuve, Parguey, Clotilde Patard (là aussi une naïve fruste comme on les aime), Raymond Oui, Salingardes, Marguerite Sirvins, Berthe Urasco, Wölfli, Albino Braz, Somuk (un Mélanésien), Gottfried Aeschlimann,  Jaime Saguer, et toutes sortes d'anonymes... Les acquisitions qui eurent lieu les décennies suivantes ont bien entendu apporté d'autres merveilles.

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Somuk, illustration pour un conte recueilli par Patrick O'Reilly, dans le catalogue Art mélanésien, Nouvelles éditions latines, Paris, 1951

     Le catalogue laisse aussi la parole aux deux précédents directeurs de la Collection, Michel Thévoz et Lucienne Peiry. Thévoz notamment rétablit une information importante concernant l'hypothèse qui a couru chez maints exégètes et chroniqueurs de l'art brut selon laquelle l'Etat français aurait refusé la donation de la collection au moment où, après 1967 et l'exposition du Musée des arts décoratifs, Dubuffet commençait à  songer à la possibilité de créer un "Institut de l'art brut". En réalité, le ministre de la culture de l'époque, Michel Guy, avait soutenu l'idée d'une donation au Centre Georges Pompidou, et c'est Dubuffet qui n'en avait pas voulu. Ce dernier, se tournant vers Lausanne et la Suisse, crut même à un moment que sa collection ne pourrait franchir la douane, Michel Guy menaçant de ne pas la laisser sortir de France. Michel Thévoz, dans cette même interview, reste cependant évasif sur la méthode employée par le peintre français pour permettre à sa collection de franchir finalement la frontière.

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Ni Tanjung, telle qu'elle figure dans une courte vidéo de Petra Simkova réalisée en février 2016 ; elle exécute ici une danse traditionnelle dans le minuscule local où elle survit tant bien que mal, entourée de ses dessins réalisés en silhouettes accrochées à des fibres de bambou

    Le catalogue comprend également un autre entretien, avec Lucienne Peiry cette fois qui revient sur l'ouverture qu'elle pratiqua dans les acquisitions de la collection en direction des autres continents à partir de 2001, ouverture qui fut stoppée net par le syndic de la ville de Lausanne en 2011, Daniel Brélaz, au motif que devant la concurrence des autres musées et collections s'ouvrant à travers le monde, il fallait désormais se concentrer sur les acquis, afin de préserver l'identité de l'art brut en somme, faire des économies, et faire machine arrière par rapport à l'extension indéfinie des acquisitions à l'international. C'était là, de la part du syndic , une déplaisante attitude à mon humble avis, entachée d'un esprit de macération dans le cercle étroit de ses habitudes. Grâce à Lucienne Peiry, la collection nous avait fait connaître, entre autres, et sans préjuger de découvertes continuées parallèlement  en Europe et en Suisse (voir l'expo L'art brut à Fribourg), de grands créateurs lointains, comme la Chinoise Guo Fengyi,  le Ghanéen Ataa Oko ou la Balinaise Ni Tanjung. sur laquelle je reviendrai bientôt. "La puissance et la dissidence de l'Art Brut ne sont donc pas dépendantes des frontières géographiques", affirme ainsi Lucienne Peiry dans l'entretien avec Sarah Lombardi. Le récent livre de Remy Ricordeau, Visionnaires de Taïwan, paru en 2015 à l'égide de la collection La Petite Brute aux éditions de l'Insomniaque, révélant plusieurs environnements bruts inédits dans l'ancienne île de Formose, n'est pas là, par exemple, pour contredire cette puissante affirmation...

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¹ Une autre reproduction de gouache est à découvrir dans le catalogue de la Neuve Invention que la collection fit paraître en 1988 (catalogue qui mériterait du reste d'être réédité, et augmenté).

    

Retour de créateurs marocains d'Essaouira à la galerie Six Elzevir

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Expo Nomad de créateurs d'Essaouira 2016.JPG

   C'est une fois de plus grâce à l'Espace Nomad de Philippe Saada que l'on pourra voir certains créateurs contemporains d'Essaouira  faire un petit tourà Paris. Notamment Babahoum, Asmah et Ben Ali dont nous avons déjà entendu parler sur ce blog (notamment par Darnish). L'expo ne dure que quelques jours malheureusement (cela se termine dimanche soir), à cause du fait que cette galerie se trouve louée.

Abdelghani-Ben-Ali-dans-son.jpg

Abdelghani Ben Ali dans son local de création à Essaouira, ph. Samantha Richard, 2013

Mustapha Asmah devant son atelier (2).jpg

Mustapha Asmah, ph Samantha Richard, 2013

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Un dessin de Babahoum

 

       La sélection concoctée par l'animateur d'Escale Nomad, Philippe Saada, est parfaitement éclectique et permet de se rendre compte qu'on n'est pas en présence d'un énième regroupement d'artistes d'Essaouira répétitifs, se complaisant dans le décoratif (comme ce que produit Ali Maimoune depuis quelque temps) et les tourbillons de figures noyées dans un pointillisme coloré qui a fini par devenir la marque de fabrique de certaines vedettes de la peinture souiri (et qui il faut bien le dire a pu à la longue détourner un certain nombre d'amateurs). On retrouvera Asmah, dont Saada a privilégié avec sagesse les œuvres plus anciennes,essaouira,escale nomad,babahoum,asmah,ben ali,art singulier du maroc,darnish,samantha richard Babahoum, qui continue de créer, en expérimentant parfois de façon surprenante (voir ci-contre une peinture aux grosses silhouettes sombres et musculeuses),essaouira,escale nomad,babahoum,asmah,ben ali,art singulier du maroc,darnish,samantha richard Ben Ali, qui paraît parti dans une iconographie "existentialiste" campant des silhouettes stylisées contrastant avec des animaux parfois obèses, ou Ghalid, ce mystérieux peintre caché par sa famille en raison d'un handicap, qui s'ingénie à serrer des figures dans une tapisserie d'Arlequin. On n'oubliera pas de signaler dans un coin de la galerie les touchantes petites peintures d'un certain Abdellatif. Et les compositions "lettristes" de Zouzaf, paraît-il plus "lancé" et coté à Essaouira ces temps-ci que ses confrères de la galerie Six Elzévir.

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Ghalid, ph. Escale Nomad

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Le mur consacré à Ben Ali à la galerie Six Elzévir, dans l'expo d'Escale Nomad, ph Bruno Montpied

    Une question pour finir: pourquoi si peu de musées ou de collections institutionnelles s'intéressent-ils aux créateurs, pourtant variés, sincères, désintéressés d'Essaouira? Je n'ai entendu parler que du musée de la Création Franche qui en son temps accueillit quelques œuvres venues de l'ancienne Mogador. Quid du LaM ou de la Collection de l'Art Brut à Lausanne, voire du musée d'art naïf et d'art singulier de Laval ? Trop dans le commerce, Essaouira? Pourtant, plusieurs créateurs de là-bas pourraient relever de l'art brut, ou de l'art singulier (Neuve Invention). Comme Asmah, Ghalid ou Babahoum par exemple...

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Asmah, ph Escale Nomad

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Asmah, ph. Escale Nomad

Info-Miettes (27)

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      Ma dernière volée d'infos-miettes remonte au 19 avril de l'année dernière. Cela ne veut pas dire un "Info-miettes" par an tout de même... En voici donc quelques-unes.

Une expo "Pépé" Vignes au Musée des arts buissonniers

Expo_Pepe_Vignes-recto musée des arts buissonniers.jpg       Pol Lemétais et l'association Les Nouveaux Troubadours montent une exposition sur cet étonnant dessinateur qui au ras de sa table, handicapé par sa vue déficiente, traçaient, entre autres, une légion de véhicules de tous types, cars, voitures, steamers, à l'aide de crayons de couleur ou de feutres. Les crayons de couleur tiennent mieux dans le temps comme on sait. Je connais un collectionneur amateur qui a vu ainsi  ses Vignes se volatiliser progressivement puisqu'il les avait imprudemment laissés à la lumière du jour.  A côté d'une centaine de dessins des années 1970 et 1980, on verra aussi à Saint Sever du Moustier (pas loin d'Albi) des objets, livres, photos et films en rapport avec ce "créateur emblématique de l'art brut". Cela apparaît comme une manifestation apportant du nouveau sur le sujet Pépé Vignes. C'est du 9 avril au 5 juillet.Expo_Pepe_Vignes-verso MAB.jpg

Pépé vignes ph JDLL, Illibérien.jpg

Joseph dit "Pépé" Vignes, photo JDLL (illibérien, c'est-à-dire, un habitant d'Elne), sans date

 

Et, pendant ce temps, Paul Amar à la galerie Nicaise à Paris...

photo Pa Au mus des arts buiss.jpg         Une autre vedette de l'art brut, cette fois plus contemporain, Paul Amar (voir portrait ci-contre, au musée des arts buissonniers où une salle lui est consacrée), est exposé quant à lui dans une galerie parisienne qui était plutôt connue autrefois comme une librairie vouée aux livres d'art, aux estampes, aux gravures. Il semble que Nicaise ait tourné sa veste en faveur des arts bruts. Elle a récemment exposé André Robillard, décidément devenu un incontournable de l'art brut (en dépit des coups de main qui cherchent à épauler ses bricolages de ci, de là ; je crois savoir que les fusils en assemblages de matériaux recyclés, il aimerait bien les abandonner pour se consacrer exclusivement au dessin et aux objets spatiaux, mais la commande l'en empêche et il est gentil, il veut faire plaisir et peut-être aussi que ça met du beurre dans les épinards). Voici que la galerie récidive avec Amar, connu pour ses assemblages de coquillages rutilants, et peut-être parfois un peu trop clinquants. Personnellement, dans ses travaux je préfère les petits monstres qui ressemblent parfois à des gremlins, proches parents des monstres que dessinait l'ancien gardien de la paix catalan, Josep Baqué, lui aussi présent dans les collections d'art brut. Cela durera jusqu'au 7 mai, c'est plus bref, donc.

Expo-Amar-Nicaise-620x880.jpg

 

Créations naïves et singulières en Mayenne... et en Pays de Loire

Flyer recto.jpg

        L'association CSN 53 reste toujours fort active. Après des expositions loin de France (chroniquées sur ce blog) , la voici qui revient au pays natal. Avec une brochette d'artistes et de créateurs que ses différents membres ont pris l'habitude de défendre: Cahoreau (qu'adore Michel Leroux, "l'égaré" de l'art obscur – label récupéré de la corbeille de Dubuffet), Cerisier, Chapelière (dont une œuvre sert d'illustration à l'affiche de l'expo, voir ci-dessus), Marc Girard, Céneré Hubert (un créateur populaire d'environnement dont plusieurs œuvres ont été sauvées par Leroux), Alain Lacoste (un grand ancien de l'art singulier), Patrick Le Cour (je connais pas), Joël Lorand (lui, on connaît), Serge Paillard ("l'homme aux patates", comme on commence à le surnommer ici et là), Jacques Reumeau, Antoine Rigal, et Robert Tatin (que sa veuve ne voulait surtout pas qu'on range dans l'art singulier, label qu'elle trouvait sans doute réducteur, à tort bien sûr). Et puis nos Mayennais, souvent protectionnistes (je taquine) et jaloux de leur "mayennité" (je re-taquine), ont daigné ajouter à ce premier lot des artistes des Pays de la Loire: Noël Fillaudeau (dont une belle sélection est désormais accrochée au Musée d'art naïf et d'arts singuliers du Vieux-Château à Laval), Stani Nitkowski (dont j'apprécie les premières œuvres et beaucoup moins les suivantes, plus "expressionnistes-explosives", invitant le public à lorgner sur ses souffrances, et à se complaire dans ce spectacle), François Monchâtre et Yvonne Robert (naïve, brute ou singulière?).Jardin de la Perrine, entrée discrète (2).jpg L'exposition se passe à Laval mais pas au Vieux-Château, plutôt au "musée-école de la Perrine", charmant hôtel particulier installé dans le jardin de la Perrine, à deux pas de la tombe du "gentil Douanier Rousseau" (auquel le Musée d'Orsay consacre comme on sait une grande rétrospective en ce moment à Paris, avec, paraît-il, l'exhibition du fameux tableau "Le Rêve", venu des USA, d'où il voyage rarement).

Musée-école de la Perrine (2).jpg

Musée-école de la Perrine, ph. Bruno Montpied, 2016

Tombe du Douanier Rousseau, 2016 (2).jpgLa tombe du Douanier Rousseau, avec, incisé à sa surface, le poème d'Apollinaire, Jardin de la Perrine, ph. B.M., 2016

 

Et la Fabuloserie continue d'exposer de manière décentralisée, Auxerre cette fois-ci

csn 53,art naïf,art singulier,paul amar,joseph pépé vignes,musée des arts buissonniers,musée-école de la perrine,douanier rousseau     "Itinéraires fabuleux" est le titre de l'expo montée à l'Abbaye St-Germain au Logis de l'Abbé du 26 mars au 13 juin à l'initiative de l'Espace d'Arts Visuels de la ville d'Auxerre. Cela se veut une rencontre entre les créateurs de la Fabuloserie (basée elle aussi en Bourgogne, à Dicy) et des œuvres de l'artothèque de la ville. Sur l'affiche on reconnaît une pierre peinte par Jacques Renaud-Dampel, dont j'ai déjà parlé ici, confrontée à une œuvre du célèbre membre du groupe Cobra, Karel Appel, cette dernière pièce (un poil infantile, un Appel à tarte, si j'ose m'exprimer ainsi) provenant sans doute de l'artothèque, car je ne sache pas qu'il y en ait à la Fabuloserie.

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 Sortie d'un nouveau livre sur Hauteville House de Victor Hugo

 

csn 53,art naïf,art singulier,paul amar,joseph pépé vignes,musée des arts buissonniers,musée-école de la perrine,douanier rousseau,fabuloserie,renaud-dampel      Paris-Musées édite un nouveau livre sur la maison étonnamment décorée que posséda Hugo à Guernesey. Je ne connaissais personnellement jusqu'ici qu'un livre ancien, dû au poète Pierre Dhainaut, et édité au début des années 1980 (il me semble) aux éditions Encre (les mêmes qui éditèrent des livres sur le Facteur Cheval et Picassiette). Ce nouvel ouvrage, intitulé exactement Hauteville House, Victor Hugo décorateur, 160 pages, comporte des photographies et des dessins dus à deux arrières-arrières-petits-enfants du poète, Jean-Baptiste et Marie Hugo.  Et Laura Hugo, fille de Marie, a sélectionné des écrits familiaux permettant de situer l'apport du Hugo décorateur, adepte d'un art total. Il a tâté de tout, le grand homme, décidément, poète, romancier, dramaturge, photographe, peintre et décorateur. La parution du livre prend place à l'occasion de l'exposition "Les Hugo, une famille d'artistes" (du 14 avril au 18 septembre).

 

Ursula à la galerie Les yeux fertiles

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    Sur cette artiste à part, compagne du peintre Bernard Schulze (aussi exposé à côté d'elle dans cette même galerie Les yeux fertiles), on a peu de renseignements (en français). Cela fait des années que je la vois mentionnée ici et là, notamment au moment de la donation Cordier au MNAM (Daniel Cordier l'exposa dans sa galerie), et je n'arrive pas à me décider à creuser la question. Je la prends pour une autre Unica Zürn au fond, une artiste visionnaire, para-surréaliste, marginale par rapport à ce mouvement (on dirait que comme dans le cas de Bellmer et Zürn, on aurait encore affaire ici à un autre couple d'artistes allemands où une femme se cache, à tort ou à raison, dans l'ombre de son compagnon). A lire la base patrimoniale des musées de Suisse romande, plusieurs œuvres d'elle (Ursula Bluhm) figurent dans la Collection de l'art brut, sans doute dans l'ancienne collection annexe dite de la "Neuve Invention" (les cas-limites entre art brut et art reconnu ; la base patrimoniale en question ne mentionne pas le distingo, et c'est un peu embêtant, accroissant la confusion entre créateurs de la Neuve Invention et la collection princeps de l'art brut). Dubuffet acquit de ses œuvres avant qu'Ursula se marie avec le peintre Bernard Schulze. L'automatisme très présent dans ses œuvres, accompagné d'une grande richesse chromatique, ses jungles de petites touches mosaïquées, rendent la fréquentation de ses œuvres fort agréable.

L'exposition d'Ursula et Bernard Schulze, aux Yeux fertiles,  dure du 17 mars au 7 mai.

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Un dessin aux crayons de couleur d'Ursula Bluhm, de 1959, tel qu'il figure sur la base patrimoniale de Suisse romande

 

Et que va-t-on montrer à la galerie Dettinger-Mayer en ce printemps? Christelle Lenci

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     Plus récente exposition de la galerie lyonnaise, c'est prévu pour durer du 9 avril au 4 mai. "Il était une fois", c'est son titre et, comme on le devine un peu en regardant le carton d'invitation, ce sont des dessins qui sont exposés de cette artiste, Christelle Lenci, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'ici. Histoire de nous emmener en promenade dans une forêt de contes à usage interne peut-être... L'intéressant pour moi dans ce genre de dessins c'est l'usage parallèle du noir et blanc et de la couleur. Le noir et blanc paraissant réservé aux évidements, à la réserve laissée par les espaces colorés... Enfin, je le suppose à partir de ce seul dessin...

Armand Schulthess à Lugano

 

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Inscriptions accrochées sur le terrain (de 20 000 m²) que possédait Armand Schulthess au Tessin ; ph. Hans-Ulrich Schlumpf, années 1970

 

    J'avais déjà mentionné l'exposition qui avait été montée au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel sur cet ancien fonctionnaire qui abandonna son travail à 50 ans pour se retirer en ermite du côté du Monte Verita dans le Tessin, lieu emblématique et historique où tant d'artistes, de poètes, de philosophes et de révolutionnaires, firent des séjours. On peut imaginer que l'exposition qui a commencé le 19 mars au MASI (musée d'art moderne) de Lugano, pour durer jusqu'au 19 juin, sous le commissariat de Lucienne Peiry, est le prolongement de celle de Neuchâtel. Pour en savoir plus sur ce créateur encyclopédiste  qui avait semé des médaillons couverts d'inscriptions chargées d'informations scientifiques de tous ordres sur les arbres de son jardin (assez proche par le projet d'un Gregory Blackstock aux USA, ou d'un Arthur Bispo de Rosario au Brésil, eux-mêmes passablement férus d'accumulation d'informations), on peut écouter Lucienne Peiry interviewée dans une émission de radio, "A vous de jouer", sur Espace 2 (elle intervient seulement à 41'30, attention). Ou se référer aussi à son site, Notes d'Art brut.

Du temps où Robillard faisait des fusils sans qu'on lui demande...

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Fusil de Lommel à JG, vers 1985.jpg

André Robillard, un fusil des années 1980, coll. privée, Paris ; son propriétaire souhaite s'en défaire, écrire au Poignard Subtil...

     Je vous parle d'un temps où il n'y avait aucune pression acheteuse autour d'André Robillard. Ce qui ne veut pas dire, comme l'insinuent depuis quelques mois certains plumitifs qui roulent pour les galeries et les spécialistes qui voudraient confisquer l'art brut à leur usage exclusif (silence, on spécule), que c'était au temps "héroïque" où une poignée de mordus "se gardait l'art brut pour eux" (ils projettent, ces plumitifs: qui juge les autres, se juge, comme disait Gérard Lebovici). Non, simplement, la plupart se foutaient de l'art brut, et les "mordus" avaient beau faire ce qu'ils pouvaient pour en parler autour d'eux, les "eux" faisaient la sourde oreille. Faut croire que le temps des cotes en hausse n'était pas encore venu pour leur déboucher les trompes d'Eustache.

     Vers 1985, l'Aracine balbutiait en son Château-Guérin, on était encore loin du LaM et de son musée-casbah. Sa papesse, Madeleine Lommel, remerciait ses sujets en leur octroyant parfois royalement quelque don, quand elle pouvait  repousser telle ou telle œuvre qu'elle ne jugeait pas idoine pour sa collection. Parfois, elle demandait quelques francs. C'est ainsi qu'un de ceux qui tournaient dans cet hôtel de Neuilly-sur-Marne reçut un jour le fusil robillardesque ci-dessus exhibé. Plutôt sommaire, non? André Robillard, notre nouveau chevalier des arts et lettres, ne s'était ce jour-là pas trop encombré de scotch et autres boîtes de pilchards démantibulées. Assez enfantin, avec deux serpents qui chevauchent un seul bout de bois sobrement peinturluré. Combien ça peut valoir aujourd'hui un truc aussi direct? Et vous imaginez qu'on le reproduise lui aussi en monument bis de 4 mètres de haut?


Benoît Jaïn et les galets

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     Bon sang ne saurait mentir, faut croire... Benoît Jaïn est le petit-neveu du sculpteur Pierre Jaïn, connu dans l'art brut pour ses sculptures sur os et sur bois qui ont fait l'objet de plusieurs expositions. Actuellement, dans le nouvel espace consacré à Jean Dubuffet, à la Collection de l'art brut de Lausanne, quelques pièces ont été sorties des réserves.

La face aux grandes oreilles de trois quart, os sculpté (2).jpg

Os sculpté par Pierre Jaïn, dans la main de Benoît, son petit-neveu, ph. Bruno Montpied, 2013

     Benoît, depuis pas mal d'années, travaille à la mémoire de ce grand-oncle autodidacte passionné de théories mystiques, de folklore breton, et de sculpture d'après des matières parlantes comme les souches de bois où il voyait, par exemple la procession de la Grande Troménie du Locronan tout proche de son domicile (il habitait Kerlaz dans le Finistère), ou un Diable près d'une femme... Il sculptait aussi le granit et jouait d'une batterie bricolée dans son jardin. Il recourait à une culture grandement reconstruite par lui à partir d'éléments glanés dans son environnement. En Bretagne, les nuées, les roches, les arbres, tout parle avec force. On ne compte plus les poètes, savants ou non, qui glanent le long des grèves, algues, galets, bois flottés, épaves en tous genres. C'est un genre à lui tout seul, cet art sur épaves, il y a même eu il y a quelques années une biennale qui s'était spécialisée dans les arts de la récup' sur plages, "brut de pinsé", cela s'appelait. Aller au pinsé, c'est glaner sur l'estran, l'espace de plage d'où la mer s'est retirée.

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Os du stock de Pierre Jaïn, interprété par Bruno Montpied, titre: Os osé, ph. B.M., 2013

 

      Benoît, faut croire que ça le travaillait, cette méditation de son aïeul, et plus généralement, cette passion bretonne (ou non) pour les matériaux de rivage, cela a dû infuser en lui. Et puis, on s'est aussi rencontré, on est devenu amis, et moi aussi je dessine sur galets, plus rarement sur bois. Dernièrement, il m'a montré un stock d'os que son grand-oncle avait stockés, sans avoir eu le temps ou l'inspiration pour les interpréter, et il m'en a donné un, que j'ai interprété à mon tour et que je lui ai renvoyé en cadeau. Des galets, il n'a qu'à se baisser pour en ramasser, même si, comme il ne doit pas être seul à le faire, il y a maintenant de plus en plus d'arrêtés de pris pour interdire ce glanage. Et voici que Benoît a cédé lui aussi au démon de la peinture sur galets, marqueurs Posca en main, avec ce plaisir supplémentaire qu'il n'a pas hésité à se donner, celui de trouver des titres qui excitent l'imagination. Cela donne les résultats suivants :

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Benoît Jaïn, Yaniig an naod (Petit Jean du rivage), 2016

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Benoît Jaïn, Paré pour danser, 2016

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Benoît Jaïn, Monocorne de Lorette, 2016

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Benoît Jaïn, Crooner crâneur, 2016

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Benoît Jaïn, Inquiétude fardée, 2016

"André et les Martiens" de Philippe Lespinasse, quelques remarques

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Couverture du DVD du film de Philippe Lespinasse, 2016

 

     Les créateurs réunis par Philippe Lespinasse dans un montage d'environ 66 minutes sous le titre André et les Martiens ont un point commun, celui de vouloir rassembler des éléments épars, disjoints, hétéroclites en un tout homogène qui tient avant tout par l'emploi de fils, de liens, de ligatures ceinturant les dits éléments : André Robillard, choisi lui-même au départ par le réalisateur-monteur pour lier  les diverses séquences consacrées aux autres créateurs, et être un fil rouge durant toute la durée du film, attache ses tubes, ses crosses, ses patins à glace et autres objets de récupération de gros rubans de fort adhésif chargés d'aider à donner forme à ses fusils inoffensifs. Judith Scott embobine des objets de hasard d'un embrouillamini de fils de toutes les couleurs où elle ajoute des nœuds, créant des sortes de chrysalides sans identité reconnaissable. Richard Greaves au Québec parle des cordes qui tiennent ses cabanes en un savant équilibre déséquilibré. André Pailloux (déjà vu dans Bricoleurs de paradis et repéré dans Eloge des jardins anarchiques ; mais je dois dire que la séquence où il apparaît dans le film de Lespinasse n'apporte pas grand-chose de plus par rapport à ces deux références) laisse manipuler son vélo avec grandes précautions, car ça n'est pas seulement un vélo, mais un jardin sur roues, tissé de colifichets en tous genres, comme une toile d'araignée de bibelots en plastique qui aurait été destinée à partir sur les routes, "quand il n'y a pas de vent", dixit Pailloux. Et ce jardin sur roues, double de son jardin hérissé de vire-vent, il y tient, Pailloux, c'est son double aussi bien, on ne lui arrachera pas comme cela. Seul de tous peut-être, Paul Amar n'utilise pas le fil. Car lui recourt à la colle pour assembler en théâtres rutilants de couleurs –c'est le moins qu'on puisse dire– des milliers de coquillages qu'il usine, adapte, associe, agrège, faisant entrer de gré ou de force ces éléments disparates dans son imaginaire unifiant.

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Judith Scott, œuvre exposée à l'exposition Sur le filà Wazemmes

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Paul Amar, œuvre présente dans la Collection de l'Art brut, Lausanne, ph. Bruno Montpied, 2011

 

      Si tous ces créateurs présents dans le film de Lespinasse –comme ce dernier les présenta au cours d'une récente avant-première organisée par l'ambassade de Suisse à Paris– peuvent être vus comme des "libertaires" réinventant leur monde, ils sont avant tout à mes yeux des individus viscéralement liés à des objets ou des architectures transitionnels qui leur servent à se redresser en dépit du désordre ambiant, en remettant de l'unité dans un monde en miettes.

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Richard Greaves, ses anciennes réalisations au Canada, ph. site bootlace and lightning

 

     Par ailleurs, au cours de la même soirée d'avant-première, notre réalisateur tint à établir sa ligne directrice en matière d'éthique documentaire. Il trouve, ce fut son mot ce soir-là, "autoritaires", les films qui comportent des commentaires de leurs réalisateurs. Il préfère, comme l'écrasante majorité des réalisateurs actuels, laisser parler "librement" ses personnages, des créateurs par ailleurs tous classés par lui (peut-être un peu approximativement) dans "l'art brut". Cela traduirait sa volonté de laisser libre la parole... Je ne suis pas d'accord avec cela. Un réalisateur qui donne un avis par commentaire sur ce qu'il filme nous impose-t-il vraiment son interprétation? Le spectateur n'aurait-il donc plus de sens critique, ficelé qu'il serait aux propos qui lui seraient comme injectés de force? Ce serait se représenter le spectateur comme un consommateur hébété, pieds et poings liés devant l'écran. Ce dernier sait faire la part des choses, et même, lorsqu'il n'y a pas de vision subjective affirmée à l'écran, il sait reconnaître, derrière les montages, un choix, celui des séquences conservées parmi les dizaines d'heures de rushes tournées en amont, ou celui des réparties des auteurs interviewés, toutes choses qui distillent de manière masquée le point de vue du réalisateur du film. Celui-ci peut-il en conséquence nous faire croire plus longtemps à sa retraite devant la personne qu'il souhaite nous présenter comme étant affranchi de son regard? Que nenni.

    Cela dit, ce ne fut qu'un mot lâché par Lespinasse au hasard d'une diatribe improvisée à la fin de la projection de son film. Parmi les réalisateurs de docs sur les créateurs populaires autodidactes, il n'est pas de ceux qui font particulièrement le choix de s'effacer. Dans ce dernier opus, André et les Martiens, qui reste un film empreint de légèreté et fort agréable à suivre, il ne craint pas de se faire filmer avec Judith Scott qui lui pince tendrement le quart de brie, avec envie sans doute de voir si elle pourrait se l'annexer pour l'embobiner lui aussi...

     Le film sortira sur les écrans le 18 mai. Un DVD a été édité. Petit extrait ci-dessous:

André Robillard, un proto fusil?

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     Il y a quelques jours, j'ai publié une photo en faible résolution d'un fusil apparemment primitif d'André Robillard. Il paraissait pouvoir se dater des années 1980, dates auxquelles son propriétaire (qui s'en est désormais défait, inutile d'écrire...) l'avait acquis dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne (ouverts en 1984). On sait cependant que Robillard a commencé plus tôt ses pétoires symboliques, connues pour leurs agrégations d'accessoires multiples et variés. Et, à contempler l'engin –dont je produis ci-dessous une image, un peu meilleure j'espère, accompagnée des inscriptions qui se trouvent par dessous–, on peut légitimement se demander s'il ne faut pas le considérer comme un prototype, ou mieux, un proto-fusil... Un squelette, une matrice avant le développement ultérieur, rendu aujourd'hui un peu trop systématique du fait d'une demande des collectionneurs? Celui qui le possède aujourd'hui aurait en ce cas une pièce assez historique, dans la perspective de l'œuvre robillardesque...

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André Robillard, fusil "le serpent indien", années 1980? Ou plus ancien?, coll. privée, ph. Bruno Montpied

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André Robillard, inscriptions en dessous du fusil, la signature de l'auteur et le titre, "le serpent indien", ph. B.M., 2016

La Petite Brute, dates à retenir, film en avant-première, exposition, deux autres titres à paraître, Denise et Maurice, Marcel Vinsard...

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      Denise, c'est Denise Chalvet, et Maurice, c'est Maurice Gladine. J'ai parlé d'eux ici même, ainsi que dans un numéro de Création Franche (« Un carnaval permanent dans l’Aubrac, les "épouvantails" de Denise et Pierre-Maurice », Création Franche n°38, juin 2013). Leurs mannequins, invention qui est plus l'apanage de Denise que de Maurice, qui la seconde, surtout sur un plan technique (par exemple dans le débitage des bois, leur taille, le déplacement des figures, etc.), sont semés sur une colline et un peu autour de leur ferme sur les contreforts de l'Aubrac.

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La colline aux mannequins-épouvantails de Denise Chalvet et Maurice Gladine, photo Bruno Montpied, 2014

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Denise Chalvet et Maurice Gladine, autres mannequins sur leur colline, ph.B.M., 2014

 

     Il en existe actuellement près de 400, certains restant stockés dans deux locaux, quelques-uns étant éliminés lorsqu'ils sont trop abîmés. Cette création d'épouvantails s'est affranchie de la fonction utilitaire de départ –épouvanter les oiseaux de proie qui pouvaient s'attaquer à leurs volailles– se transformant en prétexte de la créatrice pour camper en plein champ des figures expressives, leurs visages violemment bariolés, couronnant des parures à la fois élégantes et rustiques, trait peu commun chez les épouvantails. On a là, à l'évidence, un exemple de création populaire qui, partie d'une pratique traditionnelle en milieu rural, s'en est éloignée pour déboucher dans une activité innovante, nettement plus individualiste: ces  mannequins justement, outrageusement "maquillés", terme qu'emploie Denise Chalvet, qui ne dédaigne pas elle-même les cosmétiques, étant une femme plutôt coquette, presque excentrique, ce qui détonne dans ce milieu rural (voir son canotier).denise chalvet,maurice gladine,remy ricordeau,bruno montpied,collection la petite brute,l'insomniaque,épouvantails,mannequins en plein air,art populaire insolite,création franche,association puys'art,villeneuve-les-genêts,yonne,roméo gérolami,jacques burtin

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    Remy Ricordeau, dont j'ai parlé sur ce blog plusieurs fois, s'est emparé du sujet, à la fois pour en faire le troisième titre de la collection que je dirige à l'Insomniaque (la Petite Brute), Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails (dresseurs est à entendre à la fois comme dompteurs et comme habilleurs, bien entendu), et à la fois pour réaliser un film au titre éponyme, qui est joint en DVD au livre (disponible en librairie à partir du 15 mai, ne pas hésiter à le commander si vous ne l'y trouvez pas...; la librairie de la Halle St-Pierre sera la première servie bien sûr, où vous pouvez trouver aussi les deux premiers titres de notre collection, Visionnaires de Taïwan du même Ricordeau et Andrée Acézat, oublier le passé, de moi-même). La deuxième avant-première du film (la première ayant eu lieu récemment à St-Chély-d'Apcher, non loin de chez Denise et Maurice) aura lieu bientôt à Paris –le 11 mai à 19h– dans les splendides locaux de la SCAM (la Société qui perçoit les droits d'auteur des auteurs et réalisateurs de documentaires cinématographiques), avenue Vélasquez dans le 8e ardt. Si vous êtes intéressés, veuillez cliquer sur l'invitation jointe ici en lien (attention, il faudra confirmer votre venue). Des exemplaires du livre-film sur Denise et Maurice, et de Visionnaires de Taïwan, seront disponibles à la vente ce jour-là.

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Le Café associatif "Chez M'an Jeanne et Petit Pierre"à Villeneuve-les-Genêts, avant sa transformation par l'association Puys'art, ph Puys'art

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L'intérieur du Café animé par l'association Puys'art

 

      Le film sera également projeté au moins en deux autres occasions. D'abord le samedi 28 mai, pour accompagner un débat autour des inspirés du bord des routes que j'animerai au Café associatif "Chez M'an Jeanne et Petit Pierre", à Villeneuve-les-Genêts, dans l'Yonne (ce n'est pas loin de la Fabuloserie, des musées de Laduz (art populaire insolite)  et de Noyers-sur-Serein (art naïf et populaire)), à 15h, à l'invitation de l'association Puys'art, qui souhaite développer en Puisaye "un lieu de vie artistique et solidaire". Cela sera par la même occasion le lancement d'une exposition de mes photos (une bonne trentaine, de différents formats) sur divers habitants-paysagistes naïfs ou bruts, prévue pour se tenir dans ce café du 28 mai au 31 juillet. Sera également projeté, au même programme, "Rencontre avec Roméo" de Jacques Burtin, petit film de 17 minutes que nous avions improvisé Jacques et moi, lors d'une visite au fabricant de girouettes Roméo Gérolami, régional de l'étape, puisqu'il est basé à Bléneau (Yonne). Pour prendre connaissance du programme des animations proposées par Puys'art, c'est ici.

 

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René Escaffre, Roumens (Lauragais), un maçon (autoportrait de l'auteur peut-être), photo B.M. (ce cliché sera exposé à Villeneuve-les-Genêts en format 60x40cm), 2014

 

    Tous les livres édités au sein de la collection La Petite Brute seront disponibles à la vente (1, Visionnaires de Taïwan, 18€, 2, Andrée Acézat, oublier le passé, 14€, 3, Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails, 15€, et 4, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, théoriquement12€). En effet, le 4e titre de la collection, que j'ai écrit à propos d'un créateur d'environnement particulièrement peuplé (mille statues en polystyrène et en bois) situé en Isère, très peu chroniqué jusqu'à présent, sera présenté en avant-première au public des amateurs qui viendront à cette journée. Sa sortie en librairie est en effet plutôt prévue pour l'automne.

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Le projet actuel de couverture du 4e titre de la Petite Brute, Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, de Bruno Montpied

     Enfin, une troisième date est à retenir, à nouveau pour les amateurs parisiens: le dimanche 19 juin, à l'auditorium de la Halle St-Pierre, où Remy Ricordeau et moi-même présenterons (et dédicacerons à ceux qui en feront la demande), l'après-midi, l'ensemble des quatre titres de la Petite Brute, après une projection du film Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails. Peut-être présenterons-nous en sus quelques photos en rapport avec les trois autres titres de la collection. Je ferai probablement un rappel de cette journée dans les semaines qui viendront.

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Le logo de la collection La Petite Brute

Une visite chez Ni Tanjung, récit de Petra Simkova, notre correspondante à Bali

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Une visite chez Ni Tanjung

par Petra Šimková

 

             Bali, île de Dieu, son art et ses cérémoniaux traditionnels. J'y vivais déjà depuis quelques années quand Bruno Montpied me parla d'une personne très originale, dont la création se  distinguait nettement des traditions enracinées depuis toujours.

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Ce qui subsistait, au moment du passage de Petra, des pierres peintes de Ni Tanjung, photos Petra Šimková, août 2008

 

            Dès lors, j'allais admirer ses œuvres étranges, des pierres arrondies et peintes situées sur un chemin à l'écart, bien loin des routes touristiques. Il y avait une sorte de « montagne » de pierres, où sur chacune était représenté un visage humain ; certains, déjà à moitié effacés par la pluie et le soleil, prenaient un air étrange, peut-être comme une présence un peu sombre. Mais à l'époque, je ne savais pas qu'un jour, je pourrais rencontrer leur auteur, la créatrice Ni Tanjung.

            Puis un jour, par une fin de matinée de janvier, je me suis retrouvée sur mon scooter à suivre une étroite route en zigzags. M'accompagnait madame Arimbi, l'assistante de M. Georges Breguet, qui avait organisé la visite.

 

            Nous passons l'endroit où, quelques années plus tôt, Ni Tanjung a été découverte en train de peindre ses pierres, et nous poursuivons jusqu'à celui où elle vit maintenant. Comme elle ne peut plus prendre soin d'elle-même toute seule, elle vit avec sa fille unique.

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Ni Tanjung avec une couronne de sa fabrication sur la tête, ph. Petra Šimková, février 2016

 

            Ni Tanjung réside au rez-de chaussée d'une maisonnette extrêmement modeste. Sa chambre est minuscule, avec une seule petite fenêtre. Le lit prend toute la place, et sur ce lit, Ni Tanjung, incroyablement maigre, trône comme une reine. Elle est entourée de toute sorte d'objets, bols de riz, boîtes de conserve, pièces de vaisselle et aussi d'une « couronne » de sa fabrication. Tout autour, il y a des objets en papier coloré qui ornent le seul mur de la pièce. Très intéressants, ils me font penser à des sortes d'éventails étranges, de différentes formes, tailles et motifs. Ils créent un grand contraste avec cet environnement austère et plutôt sombre. La base de ces assemblages est toujours une structure en fibres de feuille de palmier sur laquelle sont accrochées plusieurs représentations, humaines, animales ou surnaturelles. Tous ces objets sont très colorés et forment un ensemble important, certains sont même dessinés des deux côtés.

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Ni Tanjung et ses "buissons de figures", les manipulant comme un théâtre d'ombres traditionnel balinais, photos Petra Šimkovà, février 2016

 

            Nous sommes assis dans la cour qui donne sur la petite maison, pour boire un café balinais. Ni Tanjung, qui regarde discrètement à travers l'ouverture sans porte de sa demeure, commence à s'apprêter. Elle extrait de plusieurs boîtes des bijoux de sa fabrication qu'elle se glisse ensuite autour des poignets, des doigts, du cou. Sur une étagère se trouve encore la couronne multicolore qu'elle s'est fabriquée. Dans l'une des boîtes, il y en a une seconde, qui, à ma grande surprise, est constituée de ses cheveux.

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Ni Tanjung, dessins au pastel montés sur assemblage de tiges végétales, ph. Georges Breguet, 2016

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Ni Tanjung avec le miroir grâce auquel, selon Georges Breguet, elle regarde systématiquement ses œuvres après les avoir créées... Ph. Petra Šimková, janvier 2016

 

            Son autre objet de prédilection est un miroir. Le tenant dans ses mains, elle joue avec son reflet et le nôtre. Son reflet crée un dialogue. Il m'est venu à l'esprit que c'est peut-être dans ce miroir qu'elle voit tous les personnages qu'ensuite, elle crée sur le papier, tel le reflet de la vision de son monde intérieur enfoui aux tréfonds de son âme.

            Après un certain temps, elle finit par se coiffer de la «couronne» et me fait signe de la tête que je peux prendre une photo. J'ai le sentiment qu'elle est heureuse de cette photo, et bien qu'elle soit déjà d'un âge avancé et qu'elle ait eu une vie difficile, le visage que je fixe sur la photo a beaucoup de charme, et porte une étincelle dans ses yeux. Fait intéressant cependant, dès que je cesse les prises de vue, elle montre une expression très différente.

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Ph. Petra Šimková, janvier 2016

 

            Ni Tanjung se repose quelques minutes, et nous finissons lentement notre café, assises dans la pièce relativement sombre. Je remarque une guirlande de petites ampoules au plafond, qui sert à éclairer la pièce quand elle crée ses œuvres, car elle travaille essentiellement la nuit. C'est peut-être pourquoi son choix de couleurs est aussi contrasté. Son travail couvre presque tous les murs de la chambre, formant une sorte de théâtre coloré très particulier dont le centre est Ni Tanjung elle-même. Après un moment de repos, elle s'est de nouveau apprêtée sur le lit, et elle commence à danser et à chanter. L'expression de sa danse est très particulière, mais elle se déplace exactement comme les jeunes danseuses balinaises. Elle me regarde dans les yeux et j'ai l'impression que je comprends tout son chant, tous ses mouvements... Je me sens comme si le temps et le lieu de nos origines avaient disparu, et qu'il ne restait plus qu'une belle et authentique expérience, ainsi que son œuvre.

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Ni Tanjung exécutant, assise, une danse balinaise traditionnelle ; on aperçoit derrière elle une partie de la fresque qu'elle avait alors tracée sur le mur de sa maisonnette ; photo extraite d'un petit film de Petra Šimková, février 2016

 

           Nous nous faisons de longs adieux, nous nous serrons les mains avec des sourires, puis tous s'éloignent dans leurs pensées, leurs réflexions, ou encore pour certains d'entre nous, dans leurs réalités et leurs fantasmes insaisissables. Et moi, je suis heureuse d'avoir pu rencontrer personnellement cette artiste originale de Bali.

            

           (Traduit du tchèque par Régis Gayraud (et très légèrement remanié par B.Montpied)

___________ 

 

Merci à Georges Breguet, protecteur et défenseur de Ni Tanjung sans qui ce petit reportage in situ n'aurait pu se faire de façon aussi facilitée.

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Ni Tanjung en compagnie de Georges Breguet, ph. Petra Šimková, février 2016

 

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